Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

éric werner - Page 5

  • Révolte ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un billet d'Eric Werner, cueilli dans le n°84 d'Antipresse, lettre d'information gratuite de Slobodan Despot, disponible par abonnement et financée par les dons de ses lecteurs.

    Penseur subtil et profond, Eric Werner est l'auteur de plusieurs essais marquants comme L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015) L'après-démocratie (L'Age d'Homme, 2001), Douze voyants (Xénia, 2010), De l'extermination (Xénia, 2013) ou Le temps d'Antigone (Xénia, 2015) et de recueils de courtes chroniques comme Ne vous approchez pas des fenêtres (Xénia, 2008) et Le début de la fin et autres causeries crépusculaires (Xénia, 2012). Il vient de publier dernièrement Un air de guerre (Xénia, 2017).

    On peut également suivre les chroniques de l'auteur sur L'avant-blog - Chronique de la modernité tardive.

     

    Werner_Eric.jpg

     

    Révolte ?

    C’est une question, parfois, qu’on se pose (et aussi que d’autres nous posent: Indiens et Chinois en particulier): pourquoi les Européens ne se révoltent-ils pas? Qu’attendent-ils pour le faire?

    Il y a plusieurs réponses possibles. La première est la réponse officielle. Les gens, voyez-vous, n’ont plus besoin aujourd’hui de se révolter, puisque, comme tout le monde le sait, il existe une alternative à la révolte: la participation aux élections. J’ignore, à vrai dire, si beaucoup de gens se satisferaient de cette réponse. En tout cas pas les quelque 50 % d’électeurs qui se sont abstenus lors des dernières législatives en France: élections qui ont fait qu’un parti ayant recueilli 28 % des voix au premier tour (15 % des inscrits) s’est assuré à lui seul la majorité des trois quarts des sièges à l’Assemblée nationale. En théorie, le débat public est ouvert, n’importe qui, quelles que soient ses opinions, même les plus dérangeantes, peut y participer. Mais il y a loin de la théorie à la réalité. Qui ne voit, justement, que le débat public est très largement aujourd’hui verrouillé, en sorte que beaucoup, non sans raison, en sont venus à considérer toute espèce, quelle qu’elle soit, de participation à la vie politique, comme une perte de temps.

    Une autre réponse serait de dire qu’il est devenu aujourd’hui très difficile, pour ne pas dire impossible, de se révolter. À la limite, même, ce n’est même plus pensable. Le mot lui-même a un petit air ringard. Camus a écrit autrefois un ouvrage intitulé: L’Homme révolté. Mais c’était en 1951. Il en va de même du mot révolution. Qui parle aujourd’hui encore de faire la révolution? Certains en inféreront que les gens sont au fond satisfaits de leur sort, partant n’ont aucune raison de se révolter, moins encore de faire la révolution. On peut le penser, mais on pourrait aussi penser que la peur joue ici un rôle. Face à l’État total et aux formes, également totales, que revêt aujourd’hui la répression (état d’urgence, lois antiterroristes, etc.), autant se tenir tranquille, n’est-ce pas? Et c’est ce que font les gens. Ils adoptent un profil bas. Cela ne signifie pas qu’ils soient contents de leur sort: en aucune manière. Mais ils sont prudents.

    Troisième réponse possible. Adopter un profil bas, ce n’est pas nécessairement ne rien faire, rester passif. À y regarder de près, les gens font en réalité beaucoup de choses: beaucoup plus, en tout cas, qu’on ne le croirait de prime abord. Mais de petites choses. Par révolte on entend, d’ordinaire, une confrontation directe et ouverte à l’État, avec des leaders et une organisation bien huilée. Si l’on s’en tient à cette conception-là de la révolte, on en conclura évidemment que les gens ignorent ce que se révolter veut dire.

    Mais la révolte peut s’entendre aussi autrement. Évoquant tous ces phénomènes et d’autres encore, un anthropologue a parlé de résistance «au quotidien» [1]. Cela passe par de petits actes d’insubordination, parfois aussi, il est vrai, de délinquance. En règle générale, ils passent inaperçus, donc restent non documentés. La trace, si trace il y a, s’en efface très vite.

    Ce sont les individus qui agissent ainsi, et en règle générale ils agissent seuls. Leurs actions sont informelles, non coordonnées. L’évasion fiscale elle-même, précise notre auteur, est à considérer sous cet angle [2]. Et le travail au noir. On pourrait élargir son propos à ce qu’on appelle aujourd’hui l’économie alternative (troc, systèmes d’échanges locaux, AMAP, etc.) [3]. C’est sous cette forme aussi que se décline, à notre époque, l’esprit de résistance. Mais c’est une résistance au quotidien. Donc non spectaculaire.

    Les sociétés ouest-européennes sont aujourd’hui engagées dans une histoire qui va toujours plus vite, histoire, en sens inverse, sur laquelle les individus eux-mêmes ont le sentiment d’avoir de moins en moins prise. Quand on nous annonce que pas moins de 12'000 personnes ont débarqué ces jours derniers en moins de 48 heures sur les côtes italiennes et que ce chiffre n’est rien encore par rapport à ce qui nous attend demain (on parle de millions, quand ce n’est pas de dizaines de millions de personnes), les gens se sentent dépassés.

    Ce sentiment est évidemment trompeur. Il est faux de prétendre que les gouvernants n’ont d’autre choix possible que de pactiser avec les extrémistes pro-immigrés, qui poussent à la roue dans ce domaine, ou encore d’envoyer des bateaux de sauvetage en Méditerranée. Ils pourraient très bien faire autre chose. Mais ils ne le veulent pas.

    Lors de sa récente intervention au congrès de Versailles, le nouveau président Macron a dit que des «décisions difficiles» allaient devoir être prises dans ce domaine. On voit bien plus ou moins lesquelles. Il pourrait très bien ne pas les prendre. Rien, ni intellectuellement, ni moralement, ne l’y oblige. Mais il les prendra. C’est dramatique à dire, mais on sent qu’il voudrait faire comme Mme Merkel en 2015: répéter en France l’opération allemande de 2015.

    C’est dans ce contexte que se posent les questions ici évoquées (et d’autres connexes: mais les évoquer excéderait le cadre de cet article). Elles ne prennent sens que si l’on admet que l’histoire n’est pas déterminée d’avance et que, comme le pensait Bergson, le devenir est changement, donc aussi enrichissement, permanent. Il est vital de le croire, sans quoi rien ne sert à rien, ni rien non plus ne se fera. Ce sur quoi, hélas, parient les Merkel et autres Macron. Eux croient et surtout veulent nous faire croire que l’histoire est écrite d’avance, qu’il n’y a rien d’autre à faire qu’à s’y adapter. Si nous les écoutons, nous sommes évidemment perdus. On pourra tirer un trait. Mais on peut très bien aussi ne pas les écouter: cause toujours. Et tout bonnement, faire ce que nous avons à faire.

    Eric Werner (Antipresse n°84, 9 juillet 2017)

     

    Notes :

    1. James C. Scott, Weapons of the Weak: the Everyday Forms of Peasant Resistance, Yale Universitiy Press, 1985.

    2. Ibid., p. 295, note 101.

    3. Cf. Eric Dupin, Les Défricheurs, La Découverte, 2014.

     

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Lénine, Macron et les révolutions orange...

    Nous reproduisons ci-dessous un billet d'Eric Werner, cueilli dans le n°82 d'Antipresse, lettre d'information gratuite, disponible par abonnement et financée par les dons de ses lecteurs.

    Penseur subtil et profond, Eric Werner est l'auteur de plusieurs essais marquants comme L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015) L'après-démocratie (L'Age d'Homme, 2001), Douze voyants (Xénia, 2010), De l'extermination (Xénia, 2013) ou Le temps d'Antigone (Xénia, 2015) et de recueils de courtes chroniques comme Ne vous approchez pas des fenêtres (Xénia, 2008) et Le début de la fin et autres causeries crépusculaires (Xénia, 2012). Il vient de publier dernièrement Un air de guerre (Xénia, 2017).

    On peut également suivre les chroniques de l'auteur sur L'avant-blog - Chronique de la modernité tardive.

     

    Werner_Eric.jpg

    Lénine, Macron et les révolutions orange

    Dans le Figaro, Nicolas Baverez relève : « Appliquant les principes léninistes, Emmanuel Macron, soutenu par un petit groupe d’individus déterminés, a compris que le pouvoir était à prendre » [1]. Le même commentateur parle de « révolution politique ». Révolution d’en haut, forcément, puisqu’elle est le fait « d’un petit groupe d’individus ».

    Emmanuel Macron n’est évidemment pas Lénine. En revanche, on pourrait se demander si le candidat malheureux des Républicains à l’élection présidentielle, François Fillon, était complètement dans l’erreur lorsque, se référant aux actions, à l‘évidence coordonnées, de la justice et des médias officiels à son encontre (actions, en fin de compte, qui lui ont coûté l’élection), il évoquait un « coup d’Etat institutionnel ».

    Nous ne sommes évidemment pas en 1917. Mais on n’en observe pas moins qu’un des tout premiers actes du nouveau pouvoir a été l’élaboration d’un projet de loi ayant pour effet de pérenniser l’état d’urgence actuel, en en transférant les principales dispositions dans le droit commun. On aura ainsi la chose, mais pas le mot. Astucieux, non ? Avec les lois antiterroristes, on était déjà allé très loin. Mais là, carrément, on dépasse toutes les limites. Il est évident que si un tel projet était adopté, ce serait la fin, en France, de l’Etat de droit.

    Baverez évoque le précédent de 1917. Mais une autre comparaison s’impose ici: non plus avec Lénine, mais avec les révolutions orange des deux dernières décennies. Parler de répétition serait bien sûr trop dire. La France n’est ni la Géorgie, ni la Serbie, ni moins encore l’Ukraine. Mais la mondialisation a ses exigences propres, exigences qu’on pourrait résumer en disant que le « monde ancien » s’efface devant le « monde d’aujourd’hui ». C’est ce que disent les médias, et s’ils le disent c’est qu’ils ont de bonnes raisons de le dire. Le monde ancien s’efface, sauf que, parfois, il renâcle à le faire. Et donc le processus se bloque, à tout le moins marque le pas. Comment le remettre en marche ? Parfois les choses se font toutes seules, parfois aussi non : il faut les y aider. Je ne dirais pas, en l’occurrence, que c’est ce qui s’est passé. Une couleur, quelle qu’elle soit (rose, rouge, verte, orange), n’est pas en elle-même une preuve. Mais en l’occurrence, c’est assez coloré orange.

    Machiavel dit dans le Prince que « la fortune est femme» et qu’il est «nécessaire, pour la tenir soumise, de la battre et heurter » [2]. En d’autres termes, il faut savoir saisir la bonne occasion. On peut penser, en l’occurrence, que c’est ce qui s’est passé. Macron et surtout ses soutiens ont su saisir la bonne occasion. Comme le relève Baverez, ils ont compris que le pouvoir, en France, était « à prendre ». Certains leur reprochent aujourd’hui d’avoir détruit l’ancien système des partis en France. Ils ne l’ont pas détruit, car, en fait, il était déjà mort : mort, même, depuis longtemps. C’était une coquille vide. Ils n’ont donc fait que profiter de la situation. C’est aussi ce qu’avait fait Lénine en 1917 : Lénine et ses soutiens (les services spéciaux de Guillaume II). La fortune est femme, dit Machiavel.

    A partir de là on s’interroge: de quoi, au fait, est mort l’ancien système des partis en France ? A quoi cela tient-il qu’une simple chiquenaude ait suffi à le mettre par terre ?

    En simplifiant, on pourrait dire que tant le PS que les Républicains, les deux partis dits de gouvernement, étaient en proie à des contradictions internes. C’est de cela, en fait, qu’ils sont morts. Commençons par le PS. Le PS est essentiellement aujourd’hui un parti pro-immigrés. Citons ici Jacques Julliard : « La gauche a tout misé sur les immigrés, dont elle a décidé de faire un prolétariat de rechange » [3]. Or le PS se présente en même temps comme le défenseur du modèle social européen. Ce n’est pas compatible. On ne saurait à la fois, comme c’est le cas aujourd’hui, laisser entrer tout le monde en Europe et maintenir en vie le modèle social européen. Ce n’est pas possible. A un moment donné on est amené à choisir. Le PS a d’ailleurs choisi : il a choisi l’immigration contre le modèle social européen. Mais il n’assume pas son choix. Il a ainsi perdu toute crédibilité. Quand il parle de justice sociale, de défense des droits acquis, d’autres choses encore de ce genre, personne ne le prend plus au sérieux.

    Quant à l’autre parti de gouvernement, les Républicains, lui aussi est pris dans une contradiction interne. Les Républicains sont les héritiers du gaullisme, à ce titre ils devraient se poser en défenseurs de l’Etat et de la nation. Ce qu’ils font dans une certaine mesure encore, mais en paroles seulement. Car, avec le temps, ils se sont progressivement alignés sur les positions mondialistes. Tout comme les autres partis de droite aujourd’hui en Europe occidentale (à l’exception, il est vrai, des conservateurs anglais, mais depuis peu seulement), les Républicains adhèrent au programme néolibéral d’abolition des frontières. Par là même aussi, ils sont devenu un parti pro-immigrés. Or on ne saurait à la fois ouvrir les frontières au monde entier et dire qu’on défend la nation. Là non plus, ce n’est pas possible. La contradiction n’est plus ici entre l’immigration et la défense du modèle social européen, mais entre l’immigration et la nation. Les Républicains n’ont pas voulu voir cette contradiction, encore moins s’y confronter : ils en payent aujourd’hui le prix fort.

    Le fond du problème est donc l’immigration et ses conséquences. Le double effondrement du PS et des Républicains résulte de l’incapacité de ces deux partis à se confronter à leurs propres contradictions internes en la matière. A contrario, la grande force de Macron et du « petit nombre d’individus déterminés » qui le soutiennent est d’avoir compris tout cela. Eux sont des mondialistes assumés. Ils ont depuis longtemps fait leur deuil de la nation, tout comme ils ont depuis longtemps fait leur deuil du modèle social européen. Ouvrir les frontières au monde entier ne leur pose donc aucun problème. Le « monde ancien » s’efface devant le « monde aujourd’hui » : c’est comme ça, et c’est très bien comme ça. Ils sont sans état d’âme.

    Eric Werner (Antipresse n°82, 25 juin 2017)

    Notes :

    1. Le Figaro, 19 juin 2017.

    2. Le Prince, chapitre 25.

    3. Eléments, mars-avril 2016.

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Un air de guerre...

    Les éditions Xénia viennent de publier un nouvel essai d'Eric Werner intitulé Un air de guerre. Penseur essentiel, Eric Werner est l'auteur de plusieurs essais marquants comme L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015) L'après-démocratie (L'Age d'Homme, 2001), Douze voyants (Xénia, 2010), De l'extermination (Xénia, 2013) ou Le temps d'Antigone (Xénia, 2015) et de recueils de courtes chroniques comme Ne vous approchez pas des fenêtres (Xénia, 2008) et Le début de la fin et autres causeries crépusculaires (Xénia, 2012).

    On peut suivre les chroniques de l'auteur sur L'avant-blog - Chronique de la modernité tardive.

     

    Werner_Un air de guerre.jpg

    " « On peut décider de faire la guerre, mais parfois aussi la guerre s'impose à nous sans nous demander notre avis. C'est même le cas le plus fréquent. Elle s'impose à nous, c'est tout. On pourrait aussi dire qu'elle nous cherche. Que faire alors ? On peut évidemment l'ignorer, faire comme si de rien n'était. C'est l'attitude de beaucoup. Sauf que quand la guerre nous cherche, en règle générale elle nous trouve.
    Autant, dès lors, la regarder en face, les yeux ouverts ». Voici un essai à la fois remuant et civilisé, téméraire et sage, sur le destin qui nous attend inéluctablement et la manière de nous y préparer. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Vers un monde nouveau ?...

    Nous reproduisons ci-dessous le dernier éditorial de Slobodan Despot dans la Lettre Antipresse. Ecrivain et éditeur, Slobodan Despot est notamment l'auteur de recueils de chroniques mordantes comme Despotica (Xénia, 2010) et Nouvelleaks (Xénia, 2015) ainsi que d'un superbe petit roman intitulé Le miel.

    lever_de_soleil.jpg

    Vers un monde nouveau

    Nous ne mesurons pas encore les répercussions de l’élection américaine. Il nous faudra pour cela des années. L’événement politique est l’arbre qui masque une forêt où plus un seul buisson n’est ce qu’il paraissait jusqu’à ce jour.

    Pour ce qui nous concerne en général…

    Ce qui, pour nous en Europe et dans le reste du monde, compte en premier lieu, c’est l’abandon par Trump de la désastreuse mission de « croisade du Bien » globale assignée voici 99 ans aux États-Unis par Woodrow Wilson, qui a fini non seulement par mettre le monde à feu et à sang, mais encore par amener les Américains eux-mêmes au bord de la misère. C’est donc, dans l’immédiat, l’éloignement probable d’une escalade militaire qui nous menait tout droit à la guerre nucléaire (et la nomination du général dissident Mike Flynn, ancien responsable du renseignement militaire, comme conseiller à la Défense, nous conforte dans ce soulagement).

    La deuxième conséquence est le discrédit sans reste de tout notre système d’information officiel qui ne s’est pas contenté de ne pas voir venir l’actuel président, mais qui, de plus, a tout fait pour nous persuader qu’un tel hurluberlu n’avait même pas une chance de se trouver un coiffeur.

    On ne juge que les perdants. Le filet du cerveaulavage était si étendu, si dense, qu’on l’a décrit sans trop d’exagération comme la Matrix du film éponyme. Il impliquait toute la panoplie des services, allant du renseignement à l’humanitaire (voir à ce propos l’article d’Éric Werner sur Snowden dans ce même numéro). Plus il s’éloignait de la réalité vécue, plus il lui fallait resserrer les mailles, colmater les interstices, éliminer les dissonances. Tout ceci ne pouvait passer qu’à un prix : le succès. Aujourd’hui, la mécanique est mise à nu comme le dispositif d’un illusionniste foireux.

    La troisième conséquence, qui dérive de la précédente, est qu’il sera infiniment plus difficile désormais pour le pouvoir de façonner les opinions publiques et d’orienter les votes dans le « bon » sens. A la suite du peuple américain, les Européens se sentiront libres de s’asseoir sur les consignes de vote de leurs laveurs de cerveaux. Nul ne sait désormais quand ni où le prochain diable jaillira de la boîte. Ce qu’on peut prédire, c’est que gouverner l’Europe par l’intimidation morale qui était de rigueur jusqu’ici va devenir très compliqué.

    Par là même, l’alliance de l’ultralibéralisme le plus cynique avec le moralisme le plus mièvre a cessé de fonctionner. Le truc ne marche plus. Il faudra trouver autre chose. Mais comment, quand on ne vous croit plus ? Le viol est l’avenir des séducteurs éventés.

    …et en particulier…

    Quant à nous, ce coup de théâtre constitue une confirmation éclatante du diagnostic qui a présidé au lancement de l’Antipresse. Voici ce que nous écrivions dans notre manifeste, il y a exactement une année :

    L’Antipresse est née de notre sentiment d’étouffement et de désarroi face à l’appauvrissement constant de l’information des médias de grand public, au relâchement de leur langue et de leur style, à leur incohérence intellectuelle, à leur parti pris devenu structurel, à leur éloignement préoccupant de la réalité vécue par la plupart des gens.

    Au cours de l’année écoulée, et sur le sujet le plus important de l’actualité mondiale, les médias de grand chemin ont essayé de créer une illusion hypnotique en escamotant des faits déterminants et en en grossissant d’autres.

    Parmi les escamotages, pêle-mêle, le fait que le président Obama a créé plus de dettes que tous ses prédécesseurs réunis (21 billards), que la classe laborieuse américaine était plongée dans la paupérisation, qu’une moitié des jeunes de 25 ans y vivaient encore chez leurs parents, chiffre pratiquement soviétique. Ces chiffres pouvaient expliquer le vote Trump de manière statistiquement bien plus probante que les accusations de machisme ou de suprématisme blanc. Mais la diversion sur les questions ethniques et sexistes fait partie des procédés d’enfumage ordinaires des médias de grand chemin.

    Plus que jamais, le désenfumage s’avère une mission vitale. Notre attitude élitaire et antiélitiste, populaire et antipopuliste demeure, j’en suis convaincu, la seule stratégie possible contre l’empire de la bêtise.

    …mais surtout…

    Mais surtout, ce coup d’arrêt à l’expansion impériale nous fait redécouvrir un continent inconnu : le peuple américain. Par réflexe de pensée, les intérêts de l’Empire étaient identifiés à ceux des Américains eux-mêmes. La désolation dont témoigne le vote Trump nous révèle une Amérique qui souffre autant et plus des délocalisations et de la course globale à l’esclavage qu’implique le mondialisme ultralibéral. Avec le diable Trump, c’est tout le peuple américain qui resurgit de la boîte, celui du labeur biblique, de l’abnégation et de l’héroïsme quotidien. Il nous est de nouveau permis d’aimer l’Amérique sans servir la soupe à ses fossoyeurs qui sont aussi les nôtres. Le plébiscite du soi-disant repli américain a en réalité ouvert ce pays au monde. D’un seul coup, les tenants du progrès sont devenus les ringards de l’histoire.

    Personnellement, le soulagement est de même nature qu’il y a vingt-cinq ans, lorsque la Russie, exsangue et défigurée, a surgi des décombres de l’URSS. Ce peuple, qui jusqu’à la veille portait le masque repoussant de l’homo sovieticus, avait retrouvé son visage humain. Ni beau ni laid : simplement humain et non mécanique.

    Le jour même où la Russie s’est réveillée de sa longue hypnose marxiste, des armées de commissaires politiques et de professeurs de matérialisme dialectique ont perdu leurs postes de mandarins et ont dû retourner à la vie réelle. Le même sort attend nos oulémas du politiquement correct, nos policiers de la terreur minoritaire et nos théoriciens du syndrome de Stockholm à l’égard de l’islam. Imaginer leur retour à la vie réelle est un plaisir de fin gourmet.

    Slobodan Despot (Lettre Antipresse N° 51, 20 novembre 2016)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Piero San Giorgio rencontre Eric Werner...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien de Piero San Giorgio, théoricien (et praticien) suisse du survivalisme, avec le philosophe et essayiste Eric Werner. Penseur qu'il est indispensable de lire, Eric Werner est, notamment l'auteur d'essais tels que De l'extermination (Thaël, 1993 ; Xénia, 2012), L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015) L'après-démocratie (L'Age d'Homme, 2001), Douze voyants (Xénia, 2010) et de recueils de courtes chroniques incisives et profondes comme Ne vous approchez pas des fenêtres (Xénia, 2008) et Le début de la fin et autres causeries crépusculaires (Xénia, 2012). il a dernièrement publié Le temps d'Antigone (Xénia, 2015).

     

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 3 commentaires Pin it!
  • Le temps d'Antigone...

    Les éditions Xénia viennent de publier un nouvel essai d'Eric Werner intitulé Le temps d'Antigone. Penseur profond et subtil, Eric Werner est l'auteur de plusieurs essais importants comme L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015) L'après-démocratie (L'Age d'Homme, 2001), Douze voyants (Xénia, 2010) ou De l'extermination (Xénia, 2013) et de recueils de courtes chroniques comme Ne vous approchez pas des fenêtres (Xénia, 2008) et Le début de la fin et autres causeries crépusculaires (Xénia, 2012).

     

    Temps d'Antigone.jpg

    " Or ce que dit Sophocle dans Antigone, comme du reste dans ses autres pièces, est en soi assez simple et assez clair. Le grand historien Werner Jaeger le résume en ces termes : « Les drames de Sophocle marquent l’apogée de la notion grecque de mesure, tenue pour l’une des valeurs les plus hautes de la vie humaine». Effectivement, tout comme Héraclite, Sophocle se pose en défenseur de la mesure (en grec, sôphrosunè), on pourrait aussi dire des limites, limites qu’il importe de respecter si l’on ne veut pas attirer sur soi le malheur. Il défend les limites, donc aussi met en garde contre l’hybris, qui est le contraire de la sôphrosunè. C’est le cas en particulier dans Antigone. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!